Les femmes et la lutte pour l’égalité
CLAUDIA SHEINBAUM*
Les voix qui s’élèvent aujourd’hui, pour exiger l’éradication du harcèlement et de la violence, le démantèlement du machisme, mais également pour garantir la reconnaissance et l’exercice des droits et l’accès à la justice pour les femmes, sont totalement légitimes. La violence à l’encontre des femmes a pendant longtemps été sous-estimée ; le féminicide, qui est la manifestation la plus extrême de cette violence, n’a été ajouté au code pénal que très récemment.
Nous les femmes, sommes confrontées à de multiples formes de violence. Parlons de mon propre cas. À l’âge de douze ans j’ai commencé à me déplacer seule dans les transports en commun et j’ai vécu, comme la plupart des jeunes filles, l’hostilité et le harcèlement. Au lycée, un professeur m’a proposé de voyager avec lui en échange d’une bonne note. À l’université, j’ai dû faire face aux préjugés de mes collègues qui considéraient les femmes comme intellectuellement inférieures. En politique, c’est contre la croyance solidement enracinée de ceux qui croient que seul un homme est capable de gouverner que j’ai dû me battre. J’ai une fille et, malheureusement, elle a, elle aussi, vécu des violences similaires.
En effet, la violence à l’encontre des femmes se manifeste dans notre société sous des formes très diverses : les remarques agressives dans la rue, les effleurements et les regards appuyés, le harcèlement du patron aux employées, l’utilisation des réseaux sociaux pour diffuser des images et des vidéos sans consentement préalable. La liste est longue. La plus redoutable de ces violences est le féminicide, où les femmes sont tuées pour le simple fait d’être femmes. Ce qui me semble encore plus grave, c’est que la plupart de ces maltraitances, harcèlements, viols, féminicides sont perpétrés par des personnes connues de la victime, membres de la famille ou proches.
Mais, qu’est-ce qui constitue le fond de cette violence faite aux femmes ? De nombreuses années d’une inégalité profonde et normalisée. Une culture qui rend la femme invisible, qui la réduit à une condition d’objet, en lui refusant sa dignité de personne jouissant de droits. Parmi nous toutes, celles qui sont le plus exposées sont sans doute celles dont la situation de vulnérabilité économique est la plus marquée. Angela Davis nous disait il y a quelques décennies que le féminisme est l’idée radicale selon laquelle nous, les femmes, sommes des personnes.
L’inégalité se transmet de génération en génération sous des formes très différentes, en calquant des visions stéréotypées portant sur les rôles que doivent assumer les petites filles, les jeunes filles, les femmes adultes, les grand-mères, comme par exemple l’idée selon laquelle seules les femmes doivent s’occuper des tâches ménagères et des besoins de la famille et que c’est à l’homme de fournir les revenus. Les femmes ont donc à leur charge une deuxième journée de travail. Il existe ainsi toute une chaine de « coutumes » qui marginalisent, réifient, blessent et normalisent l’exclusion, l’inégalité et la violence.
Même si les violences subsistent, des années de lutte ont permis aux femmes de conquérir de nombreux droits. Je suis issue d’une famille de classe moyenne, mes parents travaillaient tous les deux. Ma mère a dû conquérir sa place dans la société, comme de nombreuses femmes de sa génération. Pour ma sœur et moi, faire des études au même titre que mon frère, est le fruit du combat de ma mère. De nombreuses femmes de cette génération ont ouvert le débat féministe et ont conquis pour nous le droit d’étudier, de travailler, de faire de la politique, elles ont obtenu des droits dans le milieu professionnel pour les mères qui travaillaient, et même l’interruption volontaire de grossesse.IVG. Cependant, beaucoup de femmes n’ont pas eu cette chance.
Que doit-on faire pour réduire les inégalités qui se traduisent en violences ? De mon point de vue, nous devons axer notre travail sur ces six points : (1) Changer la loi de manière à ce que les femmes puissent avoir une vie exempte de toute violence, et inscrire des sanctions au code pénal, affirmant ainsi la volonté de la société de considérer la violence physique et sexuelle à l’encontre des femmes comme des délits graves ; (2) Garantir aux femmes l’accès à la sécurité et à la justice et former les policiers et les enquêteurs en adoptant une perspective de genre et de droits humains ; (3) Mettre les moyens nécessaires à la diminution des violences dans les transports en commun et dans les espaces publics ; (4) Créer un système de protection qui permette la prise en charge des femmes confrontées à des situations de violence ; (5) Mettre en place des programmes visant l’indépendance économique des femmes, les rendant ainsi plus autonomes et donc plus libres ; (6) Travailler dans le domaine de l’éducation et de la culture en mettant en place des actions visant à aider les femmes et les petites filles à faire des choix et à former les hommes et les petits garçons aux masculinités non-machistes.
Le combat des femmes pour l’égalité ne pourra toutefois pas être mené sans une lutte pour une société plus juste, s’attelant à la poursuite de plus grands droits sociaux et humains. Nous avons souffert les effets d’un modèle économique et social qui nous a infligé de profonds traumatismes. Un modèle qui, faisant de l’éducation et de la santé une marchandise, a mis en danger toute la société, et en particulier les populations les plus vulnérables ; qui, mettant en place une politique de précarisation du travail et de baisse des revenus, a mis en détresse de plus en plus de femmes et d’hommes ; qui, élevant la lutte contre le trafic de drogue au rang de guerre, a manqué de discernement et a détruit des familles entières. Un modèle qui a creusé les inégalités économiques et qui a condamné des millions de gens à la pauvreté. Un modèle, qui faisant passer l’argent avant toute chose, qui érigeant le pouvoir de la force en valeur centrale et qui faisant de la femme un objet, a nié la dignité de tous et a réduit nos valeurs de solidarité, de justice et d’amour comme une peau de chagrin.
Un projet de ville ne saurait être construit à usage exclusif des femmes, mais aucun projet de ville ne peut être construit sans les femmes. Je suis convaincue que le mouvement auquel j’appartiens et ses dirigeants partagent cette même conviction et que celle-ci se trouve à l’opposé des orientations politiques qui n’ont jamais défendu les droits des femmes et qui ont toujours fait passer leurs croyances, leurs préjugés et leurs intérêts économiques avant l’intérêt général.
Je souhaiterais conclure cette réflexion en affirmant ici ma conviction que les luttes sociales sont d’autant plus efficaces lorsqu’elles sont pacifiques et qu’elles puisent leur force de conviction dans le débat, la raison et l’entente, et qu’elles évitent de s’imposer par la violence et la destruction. Les luttes pour une vie digne se construisent par l’éducation et la conquête des esprits, par le dialogue, pas par la soumission.
Le changement est profond, la construction de la démocratie et la justice pour toutes et pour tous nous contraint à changer de modèle et je suis convaincue que nous sommes aujourd’hui sur la bonne voie. Pour cela, il est primordial que tous les hommes et les femmes y participent de manière vivante et active.
*Chef du gouvernement de Mexico